Par un arrêt prononcé le 10 février 2016, la Cour de cassation apporte des précisions sur la conciliation entre le droit du salarié à la protection de sa vie personnelle et familiale et le pouvoir de l’employeur d’imposer une mutation géographique au salarié en vertu d’une clause de mobilité insérée dans le contrat de travail.
Soc. Cass. 10 février 2016, pourvoi n° 14-17576
Dans cette espèce, Mme X…, engagée le 1er décembre 2004 par la société Castorama en qualité de directrice stagiaire de l’établissement de Saint Nazaire, faisait plaider par son Avocat la contestation d’une mesure de licenciement pour faute grave prononcée parce qu’elle avait refusé plusieurs mutation proposées par son employeur en exécution de la clause de mobilité insérée dans son contrat de travail.
Mme X… avait été nommée aux fonctions de directrice du magasin de Vannes peu de temps après son embauche au sein de l’établissement de Saint Nazaire. Ensuite, elle est partie en congé de maternité le 19 mars 2010, ce congé devant prendre fin le 14 septembre 2010. Pendant son congé de maternité, le 9 août 2010, la société Castorama lui a proposé un nouveau poste correspondant à une « mission nationale » à compter du 15 septembre 2010. La salariée a refusé ce poste le 1er septembre 2010 au motif qu’il lui imposerait de constants déplacements dans l’ensemble du territoire, situation incompatible avec son état de mère d’un nouveau-né et d’un autre enfant faisant l’objet d’une garde partagée. Prenant acte de ce premier refus, la société Castorama lui a proposé une mutation au poste de Directrice du magasin de Mérignac en Gironde, puis celui du magasin de Clayes-sous-Bois en région parisienne. La salariée a refusé ces deux postes en invoquant à nouveau des raisons familiales.
Consécutivement à ces trois refus de mutation, la société Castorama a pris la décision de licencier Mme X… pour faute grave le 24 décembre 2010, considérant le non respect de la clause de mobilité insérée dans son contrat de travail, lors de son recrutement au sein de l’établissement de Saint Nazaire. Par son Avocat, Mme X… a donc porté le litige jusque devant la chambre sociale de la Cour de cassation, laquelle a censuré l’arrêt prononcé le 21 mars 2014 par la Cour d’appel de RENNES validant le licenciement.
Dans son arrêt, la cour de cassation énonce au visa de l’article L. 1121-1 du code du travail, ensemble l’article 1134 du code civil ; « qu’après avoir écarté la faute grave de la salariée au motif que sa nouvelle situation familiale était difficilement compatible avec une mutation à Mérignac ou à Clayes-sous-bois, celle-ci étant désormais mère de deux enfants dont un nouveau-né et l’autre dont elle assurait la résidence alternée, l’arrêt, pour dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, retient que le refus de la salariée d’accepter une modification de son contrat de travail qui n’est que la mise en oeuvre d’une stipulation expresse, reste constitutif d’une faute ; qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la mise en oeuvre de la clause contractuelle ne portait pas une atteinte au droit de la salariée à une vie personnelle et familiale et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ; »
Ainsi, l’arrêt commenté invite la juridiction d’appel à opérer un véritable contrôle de proportionnalité afin de déterminer si la clause de mobilité, dont la légalité n’est pas contestée, doit être limitée dans ses effets au nom du « droit de la salariée à une vie personnelle et familiale ».
Ce faisant, la cour de cassation invite les juridictions du fond à déterminer au cas par cas la conciliation entre les intérêts de l’entreprise au travers du jeu de la clause de mobilité insérée dans un contrat de travail avec le droit reconnu à chaque salarié de voir protéger sa vie personnelle et familiale.
La réponse peut paraître évidente lorsque le maintien du domicile est exclu, par exemple s’agissant d’un salarié employé à Saint Nazaire à qui l’on demanderait de partir travailler à RENNES ce qui aurait pour effet de séparer durablement des conjoints et/ou des enfants, mais qu’en est-il de ce même salarié employé à SAINT NAZAIRE, à qui l’on demanderait de partir travailler à Nantes, ou bien à Cholet, ou bien encore à Angers… à partir de quelle distance, ou de quel temps de trajet la mutation proposée par un employeur sera-t-elle acceptable ?
Gageons que cette appréciation au cas par cas, à laquelle invite la Cour de cassation par ce contrôle de proportionnalité, ne tarira pas le contentieux.
L’on peut également observer qu’au nom de la protection du « droit du salarié à une vie personnelle et familiale », l’employeur va devoir commettre une véritable intrusion dans l’intimité dudit salarié afin de déterminer si la mutation qu’il envisage de proposer est compatible avec sa situation personnelle et familiale. Tel est le paradoxe de cette jurisprudence.
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